La Haute-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme Michelle Bachelet conclut sa visite officielle au Burkina Faso
En marge de sa visite au Burkina Faso , la Haute Commissaire a donné une conférence de presse le Mercredi 1er décembre 2021.
Ouagadougou, 1er décembre 2021
Bonjour à toutes et tous et merci d'être venus,
Je voudrais commencer par remercier le gouvernement du Burkina Faso pour son invitation. Il s'agit de la toute première mission officielle d'un Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme au Burkina Faso. Ma visite, et plus important encore, l'invitation qui nous a été faite d'établir un bureau des droits de l'homme des Nations Unies au Burkina Faso, témoignent de la volonté et de l'ouverture de l'État à collaborer à la promotion et à la protection des droits humains.
Le Burkina Faso est aujourd'hui confronté à une multitude de défis ayant de graves répercussions sur un large éventail de droits humains de sa population. Des groupes extrémistes violents lancent de plus en plus d'attaques dévastatrices dans tout le pays, en particulier dans les régions frontalières du Mali et du Niger. Le changement climatique prive les agriculteurs et les éleveurs de leurs moyens de subsistance, entraînant une augmentation des conflits et affectant l'accès à l'eau, à la nourriture, à la santé et à l’éducation. La situation humanitaire, déjà difficile, s'est considérablement dégradée, avec plus de 3,5 millions de personnes ayant besoin d'une aide humanitaire, soit une augmentation de 60 % depuis janvier 2020. Parmi celles-ci, près de 3 millions de personnes sont en situation d'insécurité alimentaire.
La manière dont le pays fera face à ces défis sera déterminante pour son avenir. Le fait que le Burkina Faso ait réussi à organiser des élections législatives et présidentielles pacifiques l'année dernière est, je pense, révélateur d'un profond désir de préserver les progrès en matière de démocratie et de droits de l'homme que le pays a réalisés ces dernières années - et donne beaucoup d'espoir.
Au cours de mes quatre jours au Burkina Faso, j'ai pu engager des discussions franches et constructives sur ces défis complexes avec le Président Kaboré et les ministres en charge des affaires étrangères, de la défense, de la justice et des droits humains, de la réconciliation nationale et de la cohésion sociale, des femmes et de l'action humanitaire, ainsi qu'avec le Président de l'Assemblée nationale. J'ai eu des échanges importants avec la Commission Nationale des Droits Humains et plusieurs organisations de la société civile ici à Ouagadougou.
J'ai également passé du temps à Dori hier, dans le nord-est du pays, dans la région du Sahel. J'ai pu m'entretenir avec les autorités locales, notamment le gouverneur, ainsi qu'avec des chefs religieux, des personnes déplacées, des réfugiés et des communautés d'accueil.
J'ai découvert une résilience, une dignité et une intégrité incroyables face à des difficultés accablantes. Contraintes de fuir leurs maisons, ayant laissé derrière elles leurs terres et leurs moyens de subsistance, les personnes déplacées à l'intérieur du pays que j'ai rencontrées m'ont dit qu'elles étaient impatientes de trouver les moyens de gagner leur vie. "Nous ne voulons pas la charité - nous voulons avoir la possibilité de faire quelque chose, de gagner notre vie", m'a dit une femme. J'ai été immensément touchée par la générosité des communautés d'accueil qui partagent le peu qu'elles ont avec les personnes déplacées. Ces personnes, ainsi que le gouvernement local et les chefs religieux, ont fait part de leurs graves préoccupations concernant la détérioration de la situation sécuritaire.
Je partage tout à fait leurs inquiétudes - la violence méprisable des groupes extrémistes s'est accrue dans de nombreuses régions du pays et son impact sur les droits de l'homme de la population est extrêmement grave. Selon le gouvernement, plus de 1,4 millions de personnes ont été déplacées à l'intérieur du pays alors que l'on rapporte de plus en plus d'actes de violence horribles et d'autres violations des droits de l'homme par des groupes extrémistes violents.
Je condamne fermement l'attaque contre la gendarmerie dans la ville d'Inata, dans le nord du pays, le 14 novembre, qui a fait au moins 53 morts et de nombreux blessés. Je présente mes plus sincères condoléances aux familles des personnes tuées.
Dans le contexte de cette situation difficile, il y a eu des allégations d'exécutions sommaires, d'enlèvements, de disparitions forcées et de violences sexuelles par des groupes extrémistes violents, des groupes de défense locaux, des Volontaires pour la Défense de la Patrie (VDP) et les forces de sécurité et de défense nationales. Comme je l'ai souligné avec le président Kaboré, il est essentiel que tous les auteurs de ces violations des droits de l'homme et de ces abus soient traduits en justice, quelle que soit leur affiliation, et qu'ils soient tenus responsables de leurs actes. Ce n'est jamais facile, mais c'est essentiel. Le droit au procès équitable doit être garanti pour tous. Dans ce contexte, nous avons également discuté des défis à relever pour que les personnes soupçonnées de terrorisme soient traduites en justice, conformément aux normes internationales.
Nous avons également parlé de la nécessité de veiller à ce que toutes les forces de sécurité de l'État et les forces affiliées respectent pleinement le droit international des droits de l'homme et le droit international humanitaire. Ces dernières années, mon bureau a travaillé dans les cinq pays du G5 Sahel pour aider la Force conjointe du G5 Sahel à mettre en place des mesures visant à garantir ce respect. Des efforts supplémentaires sont nécessaires dans ce domaine. Et nous sommes prêts à apporter notre soutien, également au niveau national.
Le respect du droit international des droits de l'homme et du droit international humanitaire par les forces militaires et de sécurité est essentiel pour susciter la confiance de la population et pour garantir que la réponse de l'État, à ceux qui cherchent à le déstabiliser, reste solidement ancrée dans l'État de droit. Ne pas le faire, conduira à l'échec dans la lutte contre l'extrémisme violent et anarchique.
Sur la base de mes interactions et observations, je suis également très préoccupée par l'augmentation des tensions intercommunautaires, en particulier en ce qui concerne la stigmatisation des Peuls. Les dirigeants politiques et communautaires doivent travailler activement et prendre des mesures pour éviter que des communautés entières ne soient ciblées ou humiliées sur la base de leur affiliation supposée à l'extrémisme violent. Le Burkina Faso a une longue tradition de coexistence pacifique intercommunautaire. Les efforts doivent s'appuyer sur cette tradition et être ancrés dans les droits de l'homme afin d'éviter la discrimination, de garantir l'inclusion et de lutter contre les inégalités.
Avec quelque 59 % de la population totale âgée de moins de 20 ans au Burkina Faso, j'ai également discuté avec le gouvernement et les acteurs de la société civile de la situation des jeunes dans l'ensemble du pays, mais surtout dans les régions du nord les plus touchées par la violence extrémiste. La pauvreté, le manque d'accès aux opportunités économiques et, dans certains cas, la discrimination et la marginalisation peuvent rendre les jeunes plus vulnérables à la radicalisation par des groupes extrémistes.
Comme l'a dit le président Kaboré, la lutte contre le terrorisme ne peut être menée uniquement par des moyens militaires. Et, comme il l'a souligné dans son discours à la nation du 25 novembre, l'unité nationale, l'inclusion et la liberté d'expression sont des éléments essentiels pour résoudre effectivement la crise.
Il est compréhensible que la détérioration de la situation sécuritaire suscite beaucoup de frustration et d'impatience. Dans un tel contexte, il est plus important que jamais de créer un espace de dialogue constructif entre toutes les parties de la société, d'exprimer les griefs et d'amener la société civile à participer à l'élaboration conjointe de solutions aux nombreux défis auxquels le pays doit faire face. Les voix des jeunes, des femmes et des communautés minoritaires sous-représentées seront essentielles à cet égard. Cela nécessite une protection efficace et cohérente de l'espace démocratique. J’invite l’Etat à prendre des mesures proactives pour renforcer le nombre des femmes dans les postes à responsabilité à tous les niveaux.
C'est pourquoi la récente décision d'imposer une fermeture de l'Internet mobile pendant huit jours est malheureuse et envoie un mauvais message. Les coupures d'Internet affectent l'exercice de nombreux droits, dont bien sûr la liberté d'expression, mais aussi les droits des personnes à accéder aux moyens de subsistance, aux ressources éducatives, aux informations sur la santé et bien plus encore. Bien que la liberté d’expression puisse être soumise à certaines restrictions, celles-ci doivent être proportionnées, en utilisant les méthodes les moins intrusives pour accomplir leur but légitime, et ne devraient jamais être invoquées pour justifier la rétention du plaidoyer pour les droits démocratiques.
Dans le cadre du processus de réconciliation nationale en cours, j'ai discuté avec le gouvernement de la nécessité d'assurer l'inclusion de tous les groupes et secteurs de la société, particulièrement les minorités ethniques et religieuses, les femmes, les jeunes, les syndicalistes et la société civile dans les zones urbaines et rurales du pays, afin de permettre un véritable dialogue. Les solutions doivent être trouvées ensemble - et non imposées. Et mon bureau est prêt à soutenir les efforts visant à promouvoir la réconciliation nationale, avec l’ensemble des Nations unies.
Le procès en cours sur l'assassinat de l'ancien président Thomas Sankara est une étape importante pour établir la vérité, garantir la responsabilité et permettre au pays d'avancer sur la question de la réconciliation nationale. Ce procès est emblématique et j'espère qu'il redynamisera les efforts de lutte contre l'impunité et la corruption dans le pays.
Le Burkina Faso a fait de grands efforts dans l'élaboration d'un nouveau plan de développement en coopération avec de nombreux partenaires. Il sera important que cela débouche sur des résultats tangibles, avec le soutien de la communauté internationale. Comme je l'ai mentionné à mes interlocuteurs gouvernementaux et à d'autres partenaires, il est essentiel que les droits de l'homme soient au cœur de la mise en œuvre de ce plan, afin de garantir que tous les Burkinabés en bénéficient sans discrimination.
Comme je l'ai dit précédemment, le Burkina Faso est en proie non pas à une mais à plusieurs crises majeures et croisées, incluant des défis régionaux. Je veux profiter de ma visite pour encourager la communauté internationale à intensifier son appui pour aider à la résolution de cette situation sérieuse. La façon dont elle est gérée peut avoir des répercussions sur la paix, la sécurité et les droits de l'homme pour des millions de personnes dans le pays, dans la région et au-delà. Le soutien international et régional est et restera vital.
Le moment présent est décisif et offre l'occasion d'une action énergique, fondée sur les droits de l'homme et l'état de droit, pour éviter que la situation ne devienne incontrôlable.
Je quitte le pays sous peu, mais mon bureau commencera à renforcer sa présence avec un mandat complet, afin d'offrir une assistance technique, des conseils, des formations et des activités de suivi et de rédaction des rapports. Nous travaillerons avec le gouvernement, les partenaires de la société civile, la Commission nationale des droits humains et l’ensemble du système des Nations Unies au Burkina Faso et dans la région pour la promotion et la protection des droits de l'homme pour toutes et tous. Ceci entre dans la réponse élargie des Nations Unies pour la crise au Sahel.
Face aux menaces de l'extrémisme violent, du changement climatique et des crises humanitaires, je peux parler au nom de mon Bureau et du système des Nations unies dans son entièreté pour dire : nous sommes tous ensemble.
FIN
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